Une loi de programmation militaire, d’ordinaire, ça se la joue discret, sans faire trop de bruit. Excellente occasion de parler du projet de loi qui va « programmer » l’armée de demain de 2009 à 2014. En cause? L’élargissement de la notion de « secret défense » à certains lieux stratégiques du renseignement. Que les bases, corridors ou caves secrètes restent secrètes, cela semble aller de soi. Mais vis à vis du pouvoir judiciaire, cette réforme «aboutit à entraver gravement l’action de la justice, (…) à neutraliser toute investigation», «institue un cadre extrêmement contraignant relatif aux pouvoirs d’enquête des juges d’instruction, s’agissant essentiellement de la perquisition», grince le Syndicat de la magistrature.
On ne va pas rentrer dans les détails, mais il est question d’un «avis du Conseil d’Etat en date du 5 avril 2007», qui a inspiré les nouvelles dispositions. Un avis dont «le texte intégral se trouve en annexe du rapport 2005/2007 de la commission consultative du secret de la défense nationale». Ça commence bien : à la Documentation française, la version électronique (fichier PDF) n’est pas disponible. «Ouvrage épuisé». On peut pourtant l’acheter pour 10€ en fascicule papier. Le rapport précédent est pourtant disponile en PDF.
Pour faire court, les magistrats pointilleux du SM, qui ont décortiqué le texte dans une analyse au scalpel du 25 février, suspectent que le «contexte judiciaire a probablement été déterminant pour élaborer ces nouvelles normes» (affaire Borrel, frégates de Taïwan, la perquisition au siège de la DGSE dans l’affaire du corbeau des fichiers Clearstream).
Tout de suite les gros mots : «au lieu de restreindre le champ du secret défense, ou de mieux le définir, [le projet de loi] prévoit au contraire de l’étendre non plus seulement à des documents mais à des lieux qui deviendraient inaccessibles ou pour le moins difficilement accessibles aux autorités judiciaires dans le cadre d’enquêtes pénales (…) dans le domaine de la corruption notamment.»
Ah bon? De la corruption dans des prestations militaires? Non… La preuve : quels sont les lieux qui seraient désormais concernés par l’opacité du secret défense? L’exposé des motifs, poursuit le Syndicat de la magistrature, «indique clairement que pourraient être concernés, non seulement « des services administratifs sensibles », mais aussi « certains locaux d’entreprises privées intervenant dans le domaine de la recherche ou de la défense ». Ainsi, une usine du groupe MONSANTO qui fabrique en France des semences transgéniques pourrait parfaitement faire l’objet d’une telle classification au motif qu’elle abriterait des documents classifiés. De même, une entreprise comme THALES, visée par l’affaire des frégates de Taïwan, pourrait bénéficier d’une telle protection.»
Tout ça me fait penser à ce document publié sur internet en mai 2006 par Sortir du nucléaire et Greenpeace. Un mémo d’EDF concernant le risque d’attaques type 11 septembre sur des sites nucléaire civils. Une publication aussitôt attaquée au nom de ce satané «secret défense», et l’un des militants arrêté par la DST pour «possession» et «divulgation» de document classifié . C’était déjà trop tard, le document est toujours disponible. Dès septembre 2005, la seule ‘existence de ce document avait l’objet d’une censure. Hervé Morin, un député UDF à l’époque, semblait plutôt favorable à une certaine transparence. Il est aujourd’hui ministre.
Sources : Séance du 4 février de la Commission de la défense nationale et des forces armées, audition des représentants des syndicats des personnels civils de la défense, dans le cadre du projet de loi relatif à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014. C’est Roseline Letteron, une agrégée de droit (qui fut membre de la CADA, la Commision d’accès aux document administratifs), qui a décortiqué la première ces nouvelles règles, dans la revue Questions internationales (n°35, janv-fev 2009), dont le résumé succint se trouve là. Ensuite c’est le Figaro qui a repris l’info le 24 février.