25 ans après, l’eau de Bhopal fait toujours peur à Dow Chemical

Publié: 14/07/2009 dans A suivre
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Un poison signé Dow Chemical (photo Micha Patault)

Le Dursban est un pesticide fabriqué par Dow Agrosciences, la filiale indienne du géant de la chimie Dow Chemical. Hautement toxique, en particulier chez les enfants, il peut endommager le système nerveux, altérer la croissance… Sa vente a été interdite aux Etats-Unis mais Dow vend pour 500 millions de $ de Dursban par an à travers le monde, et affirme que ce produit est «sans danger»...

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"B'EAU PAL. 25 ans de pollution"...

Dow Chemical, c’est précisément le groupe qui a racheté Union Carbide, responsable en 1984 de la plus grave catastrophe industrielle de toute l’histoire, celle de Bhopal, en Inde: depuis 25 ans, 23.000 morts et 500.000 victimes. Cette semaine, une délégation indienne est venue à Londres pour rappeler à Dow son horrible héritage: une bouteille d’eau contaminée, qui répond au doux nom de « B’EAU PAL ».

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Du sodium, mais aussi du tetrachlorure de carbone! (Cliquez pour agrandir)

Ce sont les contre-propagandistes The Yes Men qui ont monté cette opération « souvenir ». En concevant une vrai-fausse bouteille d’eau minérale, avec logo rouge et blanc rappelant celui de Dow (la B’eau Pal Water a même un vrai-faux site web). Le document « nutrition » (ci-contre) détaille les concentrations des trois principaux polluants qui persistent dans les nappes phréatiques :

  • dichlorure de méthane (400% au dessus des normes létales quotidiennes);
  • chroloforme (250% au delà des normes);
  • et surtout le tetrachlorure de carbone, dont la présence dans une seule bouteille de B’Eau Pal représente 200.000% la dose quotidienne mortelle!

C’est sans doute pour ça que, le 13 juillet, lorsque la délégation indienne (rassemblée dans la coalition Bhopal.org) est venue manifester devant le siège de Dow, les locaux de l’entreprise avaient été bouclées le matin même par la direction…

D’après le compte-rendu des Yes Men, si Dow Chemical a toujours refusé de prendre en charge les conséquences de la catastrophe depuis son rachat d’Union Carbide, en revanche ils ne manquent pas une occasion de « verdir » leur image de marque.

Le PDG Andrew Liveris a dernièrement déclaré que «le manque d’eau potable et la plus grande cause de maladie dans le monde et plus de 45.000 enfants en meurent chaque jour» (sic). N’hésitant pas à ajouter que «Dow s’est engagé à créer une des approvisionnements d’eau plus sûre et durable sur toute la planète».

Andrew Liveris, lors du Forum de Davos 2007

Andrew Liveris, lors du Forum de Davos 2007

Les Yes Men et les militants indiens — dont Sathyu Sarangi, le responsable de la Sambhavna Clinic de Bhopal qui se bat encore aujourd’hui avec les conséquences sanitaires de la catastrophe — ont alors fait leurs petits calculs. Le salaire annuel de Liveris dépasse les 16 millions de dollars. Avec cette somme, «il pourrait offrir à chaque enfant qui doit mourir de l’eau insalubre 10$ par jour pour acheter des bouteilles d’Evian ou de Perrier. Ou alors, pour une somme bien moins importante, il pourrait leur construire des canalisations propres et sûres, exactement comme celles dont manque cruellement la population de Bhopal.»

Dans la nuit du 2 au 3 décembre, 40 tonnes d’isocyanate de méthyle, un gaz hyper toxique servant dans le fabrication de pesticides, s’échappent de l’usine UC située en pleine ville, et le jour même on compte déjà des centaines de morts. Près de 25 ans après, le bilan est effroyable: plus de 23.000 morts directes ou indirectes, et environ 500.000 victimes, malades ou handicapés à vie.

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Un ouvrage à paraître en octobre signé du photographe Micha Patault

Le photographe français Micha Patault a travaillé sur place avec les associations de Bhopal depuis 2005, et il s’apprête à publier un ouvrage remarquable en hommage aux victimes, bientôt disponible en librairie aux alentours du mois d’octobre (renseignements sur son site web). sur le site fédérateur Bhopal.org. Il rappelle les fais suivants :

« Aujourd’hui, 170 000 personnes manquent de soins médicaux adaptés et ont besoin d’un soutien économique. Une coalition de trois ONGs se bat depuis 23 ans réclamant justice et réparation. L’usine américaine de pesticide Union Carbide et ses environs n’ont subi aucune décontamination. Les produits des plus toxiques ont infiltré les sols et les nappes phréatiques, polluant l’eau que consomment 5 000 familles vivant aux alentours, soumises aux aléas de l’approvisionnement en eau potable. Les effets de la catastrophe ouvrent alors un nouveau chapitre: L’eau produit des effets irréversibles sur la nouvelle génération. »

En 2007, la Tv quatarie Al Jazeera a réalisé un documentaire qui relate cette catastrophe. Voilà le premier volet — le second ici toujours sur Youtube.

Les Yes Men n’en sont pas à leur premier opération visant les prédateurs du groupe Dow Chemical. Il y a cinq ans, ils sont parvenus à monter un hoax en se faisant inviter sur le plateau de la BBC au nom de la compagnie US. Andy Bichlbaum s’est présenté comme un porte-parole de Dow et a tout balancé : oui, nous reconnaissons notre responsabilité dans cette catastrophe; oui, nous allons dédommager toutes les victimes, et encore oui, nous allons totalement décontaminer le site de Bhopal…

Aujourd’hui, en 2009, la situation est d’autant plus critique que la région du Madhya Pradesh, celle de Bhopal, est en train de subir une grave sécheresse, comme l’a rapporté The Guardian — juste trois ans après avoir été victime des pires inondations jamais vécues dans la région. «Même si des personnes continuent de mourir par centaines de milliers, alors que le changement climatique va en tuer encore plus, les compagnies comme Dow ne sont pas obligées de baisser leurs émissions», regrette le chef de la clinique Sambhavna, Sathyu Sarangi. «Bhopal devrait être une leçon pour le monde entier — que l’on devrait méditer avant qu’il ne soit trop tard pour toute le monde.»

commentaires
  1. le Vol d'UCAR dit :

    Je travaillais comme consultant financier pour Union Carbide à l’époque. Dans le couloir qui menait au restaurant d’entreprise du siège, des photos des principaux sites du groupe étaient accrochés. Lorsque l’accident est arrivé, la seule « réaction » tangible fut de décrocher discrètement la photo du site de Bhopal. Plus tard, lors du procés en Inde, j’ai été chargé de procéder à l’éclatement de l’entité juridique en plusieurs entités distinctes, pour « échapper » à la justice indienne, ne laissant plus qu’un holding vide composé de… 4 salariés. Lorsque le verdict est tombé (10 millions de dollars d’amende si ma mèmoire est bonne), Union Carbide a protesté (évidemment). Le fait est qu’ils avaient au préalable comptablement provisionné (« mis l’argent de coté », si vous voulez) une somme 10 fois supérieure en prévision de l’amende. Donc en réalité, derrière les protestations de facade, ils ont poussé un gros « ouf » de soulagement.

  2. numerolambda dit :

    Merci pour ce témoignage plutôt rare! Avoir provisionné 100 millions pour n’en payer que 10%, je comprend leur soulagement. Quant à l’éclatement en plusieurs entités juridiques pour brouiller les pistes, je ne connais pas assez bien cette affaire pour savoir si cette info est inédite ou pas, mais ça prouve à quel point le cynisme est de mise dans ce genre d’affaire.

  3. Bailly dit :

    A Vol d’UCAR, si vous avez d’autres infos, je serais ravi de vous écouter.

    Olivier Bailly -> olibailly@gmail.com

  4. numerolambda dit :

    J’ai demandé à notre « témoin » d’apporter plus d’éléments… Par exemple de savoir s’il sait, finalement, combien UC a versé de dédommagements,
    volontairement ou contraint par la justice (10m$ dites-vous)?

    Sa réponse:

    Je n’ai malheureusement pas de documents de cette époque. La société pour laquelle je travaillais n’existe plus depuis 1993. Je travaillais en fait sur leur système informatique de gestion financière (la Comptabilité, quoi) au siège à Genève, rue Henri Dunant. J’étais donc en relation régulière et directe avec la Direction Financière, et j’avais leur « confiance ». La nuit je militais pour la révolution sandiniste au Nicaragua, mais ça c’est une autre histoire…

    Il me semble qu’UC a fait appel (alors qu’ils avaient provisionné, comme je l’ai indiqué, plus de 10 fois la somme) et je ne connais pas la conclusion finale, sinon qu’UC était assez content en réalité… Entre temps, ils ont découpé la société, puis vendu des divisions (les Piles UCAR, pour Union CARbide, cédés à Ralston Energizer) etc, jusqu’à ce que l’entité juridique se dissolve. Tout ceci je l’ai appris simplement en déjeunant à midi avec la direction et lors des réunions de travail, parce qu’il fallait éclater les bases de données, reprendre les écritures comptables, etc, en fonction des divisions, rachats, etc. Et surtout parce que le chiffre de 100 millions de provisions est sorti dans un de mes « rapports d’anomalies » – des rapports destinés à signaler des variations exceptionnelles de certains comptes comptables. J’ai eu l’explication sans problème particulier, ils ne s’en cachaient pas vraiment, puisque tout ceci se passait entre gens de bonne compagnie. Il y a eu même un petit pot à la cantine de l’entreprise pour fêter la décision du tribunal. Je me souviens d’avoir fait remarquer que « 10 millions, c’est pas beaucoup finalement » (ca devait faire 1000 dollars par famille touchée à l’époque, si je me souviens bien). On m’a répondu « c’est sans compter le 1 million supplémentaire pour le juge. » Je ne sais pas s’il y avait du concret derrière cette phrase, mais ca reflète bien l’ambiance.

  5. Bonjour

    oui, c’est vrai que les victimes attendent toujours, de l’eau, des études sur leurs maladies, des aides pour vivre, tout simplement…
    Pour infos, je suis passé rapidement à Bhopal en 2008, et l’eau potable n’est pas disponible en quantité suffisante pour tout le monde…. 25 ans après !!

    Pour plus d’infos sur le reportage qui en est issu:
    http://www.stephanebouillet.com/portfolio/nature/catastrophe_de_bhopal_inde_union_carbide_dow_chemical

    stephane

    PS – Et j’oubliais: Bravo et merci à Micha Patault pour son investissement, ses photos et sa persévérance ;)

  6. Je me suis associé avec 2 autres photographes, Micha Patault et Kostas Pliakos, autour des 25 ans de la catastrophe de Bhopal.

    Nous avons mis en place le projet BHOPAL XXV: 1 photo/jour | 30 | jours | 3 nov-3 déc 2009 | 3 photographes

    L’url du projet:
    http://www.stephanebouillet.com/projet/bhopal_xxv_25_ans_catastrophe

    N’hésitez pas à diffuser l’information et les images (voir page Diffusion du site)
    Regardez, méditez, agissez !

    Stéphane

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