Une série de «débats publics» est organisée à partir du 15 octobre « sur les conditions de développement et de régulation des nanotechnologies ». C’est le grand classique de la stratégie de «l’acceptation», à savoir entretenir un semblant d’échange dit « démocratique », pour mieux faire avaler les couleuvres et rendre « acceptable » des décisions déjà prises. «Participer, c’est accepter», tranche le groupe Pièces et main d’oeuvre (PMO), dans son 16ème bulletin Aujourd’hui le nanomonde. Et qui retrouve-t-on comme grand ordonnateur de ce « débat public », sous la houlette d’une commission désignée et financée par l’Etat? La société I&E Consultants, experte en «stratégies d’opinion» (sic), que tout le monde connait sans le savoir. PMO rappelle en effet que I&E est la perle rare qui a gagné l’appel d’offres lancé il y a un an par les ministères de l’éducation et de la recherche et visant à repérer les «lanceurs d’alerte» et prévenir les «risques d’opinion».

Occupation sur le chantier de Minatec, en 2004 (indymedia)
Réglons d’abord la question des risques liés à ces technologies. Ils sont à la fois innombrables et indicibles — comment vont se comporter, sur la santé et la nature, ces nano-organismes (nanomètre = 1 milliardième de mètre, 10-9) aux vertus miraculeuses? Nouveaux matériaux, nouveaux médicaments, nouveaux aliments, nouveaux… nouveaux quoi déjà? Bref, comment gérer la présence de ces micropolluants industriels à plus ou moins long-terme? L’amiante et la radioactivité artificielle, ça vous dit quelque chose? On peut parcourir un foule d’analyses sur le bien-fondé, et la portée, de ces « doutes » (dans l’alimentation, par exemple, ou encore en matière de surveillance et de « biopolice »). Mais la question n’est pas ici de discuter de ces risques. Mais d’observer comment, et par quel processus, ils nous sont imposés au nom du « progrès » et de la « science ».
Curieux d’abord que ce soit en 2009/2010 qu’un tel « débat » s’organise en France (jusqu’en février: 5 mois, c’est royal!), alors que depuis le début des années 2000 le gouvernement, et la région Rhône-Alpes, n’ont pas attendu l’avis ni le soutien de la société civile pour lancer sa grande révolution de l’infiniment petit.
Exemple numéro 1: le centre de recherche Minatec, qui a eu le temps de pousser sur les bords de l’Isère à Grenoble, de quoi en faire un «fleuron» en la matière. A Grenoble, en 2005, il y a déjà eu des « débats citoyens » (variante verbale de la philosophie «participative» chère à qui vous savez), dont le décryptage par PMO, signalé par les Big Brother Awards, donne une première idée du mirage que ce genre de « débat public » peut engendrer.
Cette fois-ci, c’est la CNDP qui prend tout en charge! La Commission nationale du débat public. Une autorité administrative indépendante, qui est surtout administrative et très dépendante (membres désignés par l’Etat, ordre de mission imposé par les ministères, etc.) — un peu comme la CNIL du soldat Alex Türk (*), championne de France de «l’acceptabilité» (elle mérite même d’être rebaptisée, lire ce billet du 27 octobre).
Dans son bulletin n°16 de Aujourd’hui le nanomonde, le groupe PMO déconstruit cette belle mécanique de relations publiques.
La CNDP est si peu libre qu’elle ne peut pas même s’auto-saisir. Saisie par les maîtres d’ouvrage ou autres autorités (sept ministères pour le dossier des nanotechnologies), elle doit animer le débat public sur la base du dossier fourni par le maître d’ouvrage du projet concerné. Que dit le maître d’ouvrage à la CNDP pour le débat sur les nanos ? La lettre de saisine envoyée par le gouvernement va droit au but : « Le débat devra permettre d’éclairer les grandes orientations de l’action de l’Etat dans les domaines suivants : modalités de soutien à la recherche et aux innovations en matière de nanotechnologies (…) »
Même ton dans la synthèse du dossier fourni par les maîtres d’ouvrages : « Le débat engagé avec les citoyens a pour objectif de diffuser largement une information factuelle sur les nanotechnologies pour permettre au plus grand nombre de suivre ce domaine en plein développement. » On ne saurait être plus directif.
Les maîtres d’ouvrage ne se contentent pas de fournir le dossier. La commission décrit ainsi ses relations avec eux : « Durant la phase préparatoire : coopération étroite dans la préparation des dossiers mais le maître d’ouvrage reste totalement responsable du fond (…) »
Il est toujours difficile, quant on est attaché une certaine honnêteté intellectuelle, de refuser de discuter, surtout quand on a des choses à dire sur un sujet qui vous révulse. PMO, depuis longtemps, refuse de «jouer le jeu», et ils ont raison. Face à des règles du jeu qui n’ont rien de « démocratiques » (bien-sûr, tout cela n’est que «consultatif»!), où les termes du débat visent non pas à débattre mais à «diffuser (…) au plus grand nombre», le refus du débat, c’est la meilleure solution. Il n’y a rien de grave à s’opposer sans débattre, et dans ces conditions s’opposer c’est notamment ne surtout pas débattre. La précédente grosse mission de la CNDP? Les déchets nucléaires… Qui préside ce « débat public » sur les nanos? Jean Bergougnoux, qui a passé 25 ans chez EDF dont 7 en tant que DG…
PMO, qui a bien sûr décliné l’invitation insistante de Bergougnoux à jouer le jeu, résume ça à sa manière :
On appréciera le type d’indépendance qui laisse le gouvernement « totalement responsable du fond », c’est- à-dire maître du dossier avant le débat, pour créer dans la phase publique et médiatique une illusion de distance et de neutralité. Il ne suffit plus d’être naïfs pour croire à l’imposture de ces dispositifs. Il faut aussi avaler l’humiliation d’être à ce point manipulés. Qu’il se trouve encore des associatifs, « militants responsables », pour jouer le jeu d’une telle hypocrisie, constitue sans doute l’obstacle majeur pour espérer freiner la catastrophe.
Arrive alors sur scène les « experts es opinion » d’I&E Consultants (grand vainqueur du grand concours de l’an dernier lancé par Darcos). En fait, une vulgaire agence de com’. Elle se présente elle-même par ces mots doux:
Affaires publiques et influence : analyse de contexte, cartographie des acteurs, identification de cercles d’influence, veille parlementaire et gouvernementale, identification, programmes de prévention des crises, affaires judiciaires, lobbying et programmes de mise en relation, stratégie média, publicité d’opinion, etc.
I&E sera donc le principal sous-traitant de la CNDP. «On ignore si cette dernière recrutera elle-même un prestataire, quoique cette option soit envisagée sans rire dans l’avis d’attribution du marché», poursuit PMO. «Bref, les gogos discuteront avec les fournisseurs des employés de l’administration. C’est que les décideurs, eux, n’ont pas de temps à perdre dans la confrontation avec l’opinion : pendant les débats, ils ont un plan de développement des nanotechnologies à mettre en œuvre.»
L’appel d’offres de cette «prestation» — passé par le ministère de l’écologie, et non par la CNDP…— donne aussi un bon éclairage sur l’orientation du « débat ».
La prestation comprend :
- L’organisation et le pilotage des réunions du débat;
- Le conseil stratégique pour l’organisation du débat, sa valorisation et l’optimisation de la participation du public;
- La conception, la réalisation et la diffusion de supports de communication;
- Les relations presse.
Notez ce trio sémantique imparable: «organisation, valorisation, optimisation»… «de la participation du public». Une parole doit-elle être organisée, valorisée ou optimisée pour qu’elle existe et puisse peser réellement, et démocratiquement, sur des choix fondamentaux pour notre avenir?
PS – Si vous voulez plonger au coeur des stratégies de l’acceptation, lisez l’article « L’art de faire avaler la pilule », paru dans la revue Z (numéro 1, printemps 2009), qui nous raconte que, en la matière, les meilleurs théories sont sortis des laboratoires de… France Télécom.
(*) Mise à jour: la CNIL a d’ailleurs apporté, le 15 octobre, sa contribution haute en couleur à ce «grand débat public»:
«Les nanos, kezako?». Indépendamment des risques sanitaires potentiels, la multiplication de ces puces quasi-indécelables et le fait qu’elles puissent communiquer par internet à notre insu risque de conduire à une « hyper-traçabilité » des personnes. (…) Il faut absolument que des garanties pour protéger nos libertés soient apportées au moment de la conception même des systèmes. Après, il risque d’être trop tard pour contrôler quoi que ce soit. (…) La CNIL va participer activement [au débat public] pour sensibiliser les personnes et les pouvoirs publics aux risques que ces technologies comportent afin que la société mette en place toutes les garanties nécessaires pour en assurer un développement responsable.»
Bien aimé ces deux passages de « L’art de faire avaler la pilule » :
(…)
Quand on cherche à mettre en question la valeur de
certaines avancées scientifiques au regard des reculs sociaux qui l’accompagnent, on passe immédiatement pour réactionnaire au mieux, dangereux obscurantiste au pire. S’il est aujourd’hui possible de brandir la recherche médicale comme justification de toute recherche scientifique, quelles que soient ses applications – militaires, policières, ou économiques –, c’est que la vie fait aujourd’hui figure de
valeur ultime. Il devient de plus en plus difficile de donner un sens à la mort ou à la maladie, et les rituels qui peuvent les accompagner sont remplacés par les promesses de la science.
(…)
Dire le vrai importe peu. L’essentiel est d’en maîtriser les apparences, domaine où excellent les experts en
communication. Les chefs d’état, autant que les grandes entreprises, doivent leur crédit aux histoires qu’ils
savent raconter à un public en mal de sens3.
La bataille politique ne se joue pas sur le terrain de la vérité, condamné à d’interminables et stériles
contre-expertises, dans lesquelles ne triomphent finalement que ceux qui ont le plus de temps et d’argent à
perdre. L’affrontement est ailleurs, autour de l’art de dire la condition humaine, avec la capacité à inventer
et à raconter des histoires. Produire un récit qui fasse sens pour les hommes d’aujourd’hui, embarqués
dans « la plus gigantesque galère sociale de tous les temps »4, et sommés d’adorer le nouvel idéal technoscientiste.
Depuis les mythologies antiques, cette guerre s’est articulée autour de la religion, de la philosophie, de l’histoire ou des « actualités ».
Avec l’acceptabilité sociale, apparaît une nouvelle figure mythique : la technologie. En elle résideraient
toutes les réponses à nos questions, toutes les solutions à nos problèmes : sociaux, physiologiques,
psychiques, politiques. De moyen destiné à nos fins, la technique est devenue une fin en soi, remède à tous
nos maux. Cette fiction est ainsi censée nous tenir lieu d’avenir.
Mais nous, qui ne croyons pas à cette fable extraordinaire, non pas parce qu’elle est fausse, mais parce qu’elle sonne creux, serons-nous capables d’inventer notre propre histoire – ordinaire ?
[…] Qui donc ? « Nanotechnos, gigamanips […]
[…] parler des fichiers Schengen, etc. Mais mettre au monde cet Oscar en plein “débat” (lire ici ce que ce mot sous-entend) sur l’«identité nationale», et quelques jours après l’épisode Edvige 3, cela […]
[…] l’illustration en noir et blanc est un détournement d’une image illustrant des nanomanipulations biomédicales, republiée sur des dizaines de […]
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[…] organisateurs osent parler de “débats” sur des questions déjà tranchées (cf notre billet du 16 octobre), mais ils émettent maintenant des sortes de “critères de conformité” pour le […]
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