Le grand manitou de la sécurité intérieure Alain Bauer n’a jamais eu l’intention de se ranger des camions. Notre «dépêche (presque) imaginaire de l’AFP», commise avec préméditation le 7 février (reproduite ci-contre), est fondamentalement fausse mais entièrement inspirée de faits réels et avérés. Alain Bauer restera le cumulard professionnel que l’on connaît, alors qu’il vient donc d’inaugurer la Chaire de « criminologie appliquée » du CNAM dont il a hérité en 2009. Il n’abandonne pas non plus son cabinet de conseil AB Associates, qui marche très fort depuis 2005 (les 20% de marge nette, ce n’est pas un canular…), il continue de s’afficher en « expert » à l’étranger, auprès d’universités ou d’organes plus racoleurs (police de New York et de Los Angeles), et reste vissé à la tête de diverses commissions étatiques sur la délinquance, les fichiers ou la vidéosurveillance. Et puis ce serait stupide de tout lâcher alors que ses belles idées sur la «sécurité globale» commencent à porter leurs fruits. Non, on n’est pas prêt de s’en débarrasser, du nuisible Bauer.
Avant de passer en revue quelques unes des vérités contenues dans notre fausse dépêche AFP, regardez donc cette délicieuse émission de télé qui en dit assez long sur le personnage. Sur France 3 le 9 février, au lendemain de son intronisation au CNAM, l’ami des traqueurs s’est fait gentiment étriller par l’avocat Thierry Lévy lors d’un débat sur la nième loi sécuritaire en préparation, la LOPPSI. L’inventeur du « décellement précoce » chez le futur délinquant (voire terroriste) va même s’énerver en menaçant son interlocuteur — grand classique du bonhomme — de l’attaquer en diffamation. Il sera aussi question de son honorable officine de consulting, et du rôle joué par Bauer dans l’affaire de Tarnac (comme quoi il aurait signalé aux autorités le caractère subversif du bouquin L’insurrection qui vient). Ça dure un peu plus de trente minutes, mais notre « crimino-démagogue » ne restera pas jusqu’à la fin, rattrapé par son agenda surchargé.
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Passons en revue les différentes positions sur le sieur Bauer occupe toujours contre vents et marées.
- …professeur titulaire de la chaire de criminologie du Cnam en mars 2009, par ailleurs Président du Conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégique du conservatoire;
- préside plusieurs organismes officiels, comme le Groupe de contrôle des fichiers de police, la Commission nationale de la vidéosurveillance et, depuis 2003, le conseil d’orientation de l’Observatoire national de la délinquance et de la réponse pénale (ONDRP).
- … Il est toujours lié en tant que senior fellow [professeur invité, nda] au John Jay College of Criminal Justice de New-York et à l’université de Droit de Pékin.
- Au sein de l’Institut de criminologie de Paris (Paris II), il est devenu l’un des piliers du Département de recherche sur les menaces criminelles contemporaines [DRMCC], lieu d’émergence de l’idée de « sécurité globale », qui tend vers un rapprochement des réponses militaires et civiles, gommant la frontière entre défense et sécurité.
Dans l’excellent ouvrage de Mathieu Rigouste, L’ennemi intérieur (La Découverte, 2009 – cf un résumé ici), l’auteur décrit bien ce concept fumeux de « sécurité globale », qui justifie que l’on traite la petite délinquance comme on combat le terrorisme international. L’idée est de supprimer la frontière entre défense civile et militaire, de justifier le déploiement, en temps de paix, de forces militaires pour prévenir les insurrections urbaines.
Le DRMCC, créé en 1997, y est décrit comme l’un des « ponts » entre l’INHES et l’IHEDN, deux instituts d’Etat (« hautes études » sur la sécurité et la défense nationale) qui doivent se rapprocher en 2010. Comme on peut le lire ici, c’est le président Sarkozy qui a confié, en août 2007, à son expert Bauer la mission d’«étudier le rapprochement des missions (…) des grandes institutions publiques en charge (…) des questions de sécurité et stratégiques». Son rapport préconise la création de deux pôles distincts, mais en y prenant soin d’y associer un troisième institut, moins connu: l’IERSE (l’Institut d’étude et de recherche pour la sécurité des entreprises). Cela fait aussi partie des plans de bataille de la « sécurité globale »: laisser les boites privées de sécurité s’infiltrer encore plus dans des missions de sécurité civile. Il faut bien compenser la baisse d’effectifs dans la fonction publique ! (Lire ici une lecture critique sur Rue 89).
Avant de mener à bien ce rapprochement, il fallait bien créer un nouveau « machin »: ce sera le CSFRS (conseil supérieur de la formation et de la recherche stratégiques), officialisé en janvier 2010. Et qui a pris la présidence de ce truc? Alain Bauer, forcément! Un fait salué comme il se doit par ses « partenaires » privés.
Comme le dit Terra Nova, le think-tank tendance libérale proche du Parti socialiste, «le CSFRS signale un mouvement de fond vers une militarisation des pratiques policières, peu adaptée aux multiples dimensions de la délinquance urbaine». Notez la pudeur un brin faux-cul de Terra Nova sur cette question: Bauer est devenu grand manitou de l’observatoire de la délinquance (ONDRP) par la grâce de Sarkozy, fin 2003, tout content d’offrir ce poste à un type «de gauche». Mais le gouvernement Jospin lui a bien préparé le terrain: l’OND a été préconisé dans un rapport commandité par la gauche plurielle et co-signé par Christophe Caresche (PS) et… Robert Pandraud (RPR, M. Sécurité de Pasqua en 86-88).
Quant à ses liens avec les services de police en Amérique du Nord (New York Québec et Los Angeles), Alain Bauer s’est distingué tout récemment en co-signant un rapport commandé par le Sherif du comté de Los Angeles (LASD), intitulé Terrorism Early Warning (rapport .pdf), faisant un bilan élogieux de 10 ans de « guerre contre la terreur ».
A propos de son « stage » au sein de la SAIC, grosse boite d’informatique composé d’ex-membres du renseignement US, qui le mènera à la vice- présidence Europe du même groupe, il en est même fier. Cet épisode figure en bonne place dans le portrait non-autorisé que lui a consacré la République des Lettres. Un portrait auquel il a répondu, en y apportant de mous démentis, par l’intermédiaire d’un «blog maçonnique», car le monsieur est un frère renommé, il a notamment présidé le Grand orient de France. Notre dépêche n’en disait mot: c’est un fait généralement zappé par la presse lorsqu’elle se penche sur son parcours.
Enfin, concernant la santé financière de son cabinet AB Associates, là aussi il ne s’agissait pas d’un canular. Nous écrivions:
Alain Bauer s‘engage également à abandonner son cabinet privé de sécurité urbaine, AB Associates, qu’il a créé en 1994 dans le sillon de son expérience américaine. Ce cabinet, spécialisé dans les audits de sécurité auprès des collectivités locales et des entreprises, est une réussite. Son chiffre d’affaires est en hausse constante depuis 2005, il a réalisé 3,1 millions d’euros en 2008 (derniers chiffres publiés), en hausse de 26% sur un an, et sa marge nette atteint les 20%.
Si l’on en croit le registre du commerce (RCS Paris B 398 261 958), cette entreprise est une SAS (Société par actions simplifiée – capital de départ: 40 K€) à salarié unique («effectif moyen: 1»). Elle a réalisé un CA de 3,145 millions en 2008 contre 2,497 en 2007, soit une belle envolée de 25,9%. Quant à sa marge nette (rapport entre CA et résultat net), elle est bien proche de celles des industries du luxe. Le résultat net 2008 affiche 621.000 euros, rapporté au CA cela donne une marge de 19,7%; elle n’était que de 3 petits pourcents fin 1998. Créé en 1994, AB Associates a vu son activité progresser sensiblement à partir de l’exercice 2006. Fin 2005, son CA affichait un maigre 2 millions d’euros, contre 0,6 million fin 1998.
Mais ceci (sa petite entreprise) n’a bien sûr aucun rapport avec cela (ses multiples fonctions de gourous es-sécurité).
Quant à ses velléités philanthropiques, heureusement on y échappera pour l’instant. Pas de fondation en vue «visant à conjuguer « sécurité globale » et « respect de l’individu »». Et pas non plus de volonté «d’humaniser la mécanisation irréversible des procédures répressives».
[…] twitter rss Alain Bauer victime d’un odieux canular « # numéro lambda # […]
Ce Bauer est sans doute l’une des pires vermines idéologiques de l’Oligarchie médiatico-politique actuelle. Ces ventripotents cumulards, ces gangsters du sécuritarisme devront payer un jour.
[…] Alain Bauer victime d’un odieux canular (4/04/2010) […]
[…] Alain Bauer victime d’un odieux canular… […]
Jospin dites-vous?
A l’époque on connaissait mal la nocivité d’Alain Bauer, Mais Manuel Valls qui fait commerce des peurs comme Sarkozy savait bien de quoi était capable le parrain Franc-Maçon de son fils. Sarkozy l’envoya décoré Ray Kelly, et malgrès ses liens sérrés avec Valls dont Bauer, Manuel Valls fait croire que Bauer n’est pas son ami (Emission ONPC en 2012 ou 13 dans laquelle il fait mine d’être contre lui)….
Pas a peine tjs de mettre en avant le côté « franc-maçon » (je ne mets pas de capitales) de Bauer… Le personnage est bien assez nuisible sans cette étiquette.