Policiers casseurs : pourquoi Hortefeux n’attaque pas en diffamation

Publié: 29/10/2010 dans A suivre
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Paris, 16 octobre (reuters)

C’est en effet la question cruciale qui nous brûle les lèvres après dix jours de spéculations, de démentis puis d’éléments probants visant à accréditer la thèse de la présence d’agents provocateurs de la police au sein des manifestations. Il ne s’agit pas seulement de dénoncer le rôle de policiers en civil « infiltrés » — officiellement pour repérer les « ultras » qui se mèleraient aux manifs pour casser du flic et des vitrines. Non, cette fois la question est plutôt de savoir si ces « infiltrés » ne jouent pas un double jeu au point de provoquer les affrontements.

Bernard Thibault (dans Libération mercredi) et Jean-Luc Mélanchon un peu plus tôt (rebelote mardi) ont repris ces accusations cette semaine. Mais surprise : le ministre Hortefeux ne veut pas porter plainte en diffamation. Pourtant le même premier flic de France a été moins timide cet été — sans que ça fasse la Une — en assignant deux sites internet qui avaient eu la facheuse idée de contredire la version officielle. C’était suite à l’affaire du braquage du casino d’Uriage, dans l’Isère, et de la révolte qui s’en est suivi dans un quartier populaire du sud de Grenoble.

16 octobre, l’homme à la baramine

Deux exemples de ces infiltrations tordues. D’abord le samedi 16 octobre à Paris, boulevard Diderot, immortalisé par la fameuse scène tournée par Reuters — et diffusée dans le monde entier au titre des échanges d’images d’actualité (EVN).

Résumé: le type en veste bleue et capuche explose une vitrine à coup de baramine; un passant s’interpose, et se fait apparemment agresser par d’autres excités à capuches. Qui est ce type à la baramine? Si c’est un casseur, il a forcément été interpellé — la scène montre bien que des flics en civil, brassards orange, sécurisent la zone immédiatement.

Bref, en cas de diffamation, il faudrait que les magistrats se penchent par exemple sur ce cas, et nous présentent cette personne comme un « vrai casseur ». Ou alors, l’ont-ils laissé partir, s’est-il fait « exfiltré » par des collègues en tenue? C’est ce que de nombreux témoins ont suggéré dans l’enquête d’Arrêt sur images (ASI) du 21 octobre. Corroborée par un autre témoin reproduit par Guy Birenbaum.

Le passant n’est pas un fantôme. Bertrand de Quatrebarbes, la cinquantaine, sera interrogé une semaine plus tard dans Le Parisien du 28/10. Son récit à ASI:

Paris, 16 octobre (numerolambda)

«J’ai vu un homme cagoulé commencer à détruire la vitrine. Je croyais qu’il était jeune et je n’ai pas réfléchi, je suis intervenu. (…) Mais c’était un homme, dans la trentaine, et il a été sidéré de mon intervention. (…) Le « ninja » qui m’a frappé dans le dos ne m’a pas fait mal du tout, le coup n’était pas du tout fort. Après, plusieurs personnes se sont mises autour de moi et m’ont donné des coups pas violents du tout, quasiment des faux coups, jusqu’à qu’une voix autoritaire dise « Lâchez-le ». C’était l’homme au visage découvert, qui a ensuite parlé à ma femme et ma fille, qui avait la main en sang pour s’être pris une bouteille de bière lancée par un casseur. J’ai eu l’impression que les gens qui m’ont entouré m’ont en fait protégé pendant le moment violent. Mon hypothèse ? C’était des policiers qui avaient des consignes pour laisser faire des dégâts matériels, mais surtout pas de blessés.»

Qui est donc ce « casseur »? Tout récemment, un syndicaliste de Synergie-Officiers déclare avoir reconnu le bonhomme: «On sait qui c’est. C’est un militant d’extrême-gauche extrêmement violent et extrêmement connu». Et extrêmement bien entraîné, car cela n’explique pas comment il a pu échapper aux policiers « protecteurs » présents ce jour-là. L’AFP va même jusqu’à annoncer, sans confirmation aucune du ministère de l’Intérieur, que le « policier casseur présumé » a été arrêté jeudi, ce serait (conditionnel) «un homme « proche des milieux anarchistes », dont des images diffusées sur internet avaient fait naître des soupçons sur la présence de policiers provocateurs dans les manifestations, a-t-on appris de source proche de l’enquête».

On attend son interview dans le Parisien, à cet anarchiste «bien connu des services».

28 octobre : agents provocateurs

Autre exemple plus récent: hier, jeudi 28, place St Augustin, terminus de la manif. Les journalistes d’iTélé sont présents, et leur reportage [ci-dessous] évoque en partie ce qui s’est produit: des policiers infiltrés se font repérer par des manifestants, qui les dénoncent en brandissant une pancarte «Flics en civil (pas encore grillés)!»

Les mêmes caméras ont pourtant filmé plusieurs témoins qui accusent de faux manifestants d’avoir passé la fin de l’après-midi à provoquer les flics et attiser la foule. « Faux manifestants », car à la nuit tombée, ces mêmes personnages à capuche se retournent et sortent des tonfas de leurs vestes pour frapper tout ce qui bouge. Un témoin, à qui j’ai personnellement parlé après coup, avance que l’un d’eux a cherché à lui pêter son appareil photo. Ce témoin avait pris soin de suivre certains de ces manifestants bizarres qui semblaient à l’aise face aux CRS… Dommage : ce témoignage ne sera pas repris par iTélé. [images numerolambda]

Derrière la colonne de CRS, les "infiltrés" en civil (paris, 28/10, numerolambda)

Pour Hortefeux, ces allégations sont «tout simplement inadmissibles» et relèvent de «rumeurs indignes qui circulent sur Internet et visent à salir l’honneur de la police». Le syndicat Synergie, en bon porte-parole du ministre, a précisé que Hortefeux «ne porterait pas plainte» malgré leurs demandes à le faire.

Pourquoi une telle pudeur? « Le ministre estime que ce n’est pas opportun dans la mesure ou cela donnerait une caisse de résonance et une publicité à M. Mélenchon », dixit le secrétaire général de Synergie Officiers, Patrice Ribeiro. Le même Ribeiro qui, sur RTL mercredi, a plus ou moins reconnu la pratique : se déguiser en casseur en lançant des pierres pour inciter les « futurs casseurs » à se dévoiler.

Les langues se délient aussi à Lyon, théâtre d’une garde à vue collective à ciel ouvert la semaine dernière, le 19 octobre place Bellecourt — une grande première dans la pratique contre-insurrectionnelle. Voilà que le préfet du Rhône en personne — placé sous l’autorité d’un certain Hortefeux — a reconnu l’existence d’au moins « deux policiers qui avaient un écusson CGT ». Après avoir justifié cette pratique (« c’est la tradition que des policiers soient infiltrés dans la population »), il a toutefois « demandé une enquête pour savoir si c’était conforme à la déontologie ou pas ». Il va avoir des problèmes, ce préfet, de gros problèmes…

Grenoble: deux plaintes pour étouffer « les rumeurs du net »

Il ne serait donc « pas opportun » de porter plainte en diffamation… Revenons aux événement de Grenoble, mi-juillet dernier. Après un braquage qui tourne mal, l’un des deux suspects tombe sous les balles de la BAC, dans le quartier de la Villeneuve. Très vite, le quartier est bouclé et s’en suivra plusieurs jours de révolte face aux robocops, aidés par des hélicos qui, la nuit, inondent les appartements d’une barre HLM de leurs puissants faisceaux lumineux.

Dix jours après, Indymedia Grenoble et le Jura libertaire sont alors trainé en justice par le même Brice Hortefeux. Le canard gratuit 20minutes ne met pas de guillemets et titre: «Brice Hortefeux s’en prend à deux sites anti-police».

dr

Brice Hortefeux ne supporte pas que l’on attaque ses bleus. En marge d’un déplacement au commissariat de Dammarie-les-Lys, le ministre de l’Intérieur a annoncé avoir engagé une action pour «injure et diffamation publiques contre la police» à l’encontre de deux sites Internet.

Il n’a pas voulu citer ces sites «pour ne pas leur faire de publicité» mais, selon une source proche du ministère de l’Intérieur, il s’agit de juralibertaire.over-blog.com et grenoble.indymedia.org.

«Il y a des campagnes qui me choquent et que je ne laisserai pas passer», a-t-il expliqué. Selon lui, le contenu de ces sites «porte atteinte à l’honneur de la police». «Les policiers sont traités de troupes « d’assassins » et la BAC de « bande armée de criminels »», a-t-il précisé.

Sur le portail du premier de ces deux sites, apparemment proche du mouvement anarcho-autonome, on peut notamment lire: «La police travaille… à l’apartheid social.»

Il y a donc d’un côté des allusions qu’il «ne laissera pas passer». Et des allégations de deux leaders politiques qui «salissent l’honneur de la police» mais qui resteront libres de toute poursuite.

Quant aux circonstances de l’embrasement de Grenoble, il semble bien que des actes provocateurs aient précédé les violences qui s’en sont suivi. Selon le récit du mensuel CQFD (numéro d’octobre 2010):

(afp)

  • Le braqueur aurait reçu non pas une balle, mais trois. Il «avait déjà pris une balle dans le pied et dans la jambe» avant de s’en prendre une dans la tête. Le corps serait resté «quatre heures sans le couvrir d’un blouson ou d’une couverture».
  • La BAC en a profité, selon les mêmes témoins, pour provoquer les jeunes : « »Ils nous disaient « venez voir comme il est beau votre pote ». Il y a même un flic qui nous insultaient en arabe.»
  • Un des jeunes condamné à 3 mois ferme pour avoir« jeté des pierres» s’est fait choper «parce qu’il avait répondu [par SMS] « je suis en mode émeute » à on pote qui lui demandait où il était.»
  • Ce serait suite à de nombreuses écoutes téléphoniques — dans quel cadre? mystère — «que des policiers de la BAC aurait été menacés» comme l’a relaté en chœur la presse fin juillet. Ce qui justifiera le tour de vis du mois d’août, même si aucune interpellation concrète n’ait eu lieu depuis les faits. Le seul mis en examen a été laissé en liberté.

Finalement, entre les « présumés casseurs » des manifs parisiennes et les « présumés provocateurs » de la BAC de Grenoble, il y aurait assez de similitude pour que le ministre de l’Intérieur accorde ses violons et aille en justice pour laver ses troupes de tous soupçons.

Ou alors les huiles de l’Intérieur sont refroidies depuis le procès définitivement perdu face aux rappeurs du groupe La Rumeur, assignés pour avoir traité les policiers d’«assassins». Ils ont gagné la partie en Cassation en juin dernier, après 7 ans de procédure.

commentaires
  1. […] On ne peut rien leur cacher. Lors des manifs contre la réforme des retraites à l’automne 2010, ces faux-casseurs à capuche s’étaient fait repérés plus d’une fois. […]

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