Citoyen volontaire ou délinquant solidaire? Choisis ton camps

Publié: 23/02/2010 dans A l'arrache
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«A 6H10, quatre hommes et une femme ont frappé à ma porte, ont dit que c’était la police. J’ai ouvert. Ils portaient des gilets pare-balles.  Je ne me souviens plus si ils m’ont montré un papier dès leur arrivée. Je sais que j’en ai signé un après mais ne me rappelle plus quoi. Ils m’ont  parlé des «mes engagements politiques de gauche». Tout ce moment reste très flou, j’étais surprise et je me demandais ce qu’il se passait. Au bout d’un moment ils m’ont dit chercher des bombes de peinture et m’ont parlé de destruction de DAB (distributeur automatique de billets). Ils ont cherché de la « littérature subversive ». Ils ont pris en photos des livres (le dernier de RESF, « De la désobéissance civile »…), ils ont fouillé partout…» Hélène est une militante bénévole du Réseau éducation sans frontières à Paris. Elle vient de subir une garde à vue musclée dans une affaire de destruction… d’un distributeur de billets. Quel rapport? Les flics enquêtent sur les dégradations dont aurait été victime une agence bancaire suite à la dénonciation zélée, par un employé de la banque, d’une personne en situation irrégulière. On aurait pu penser que dans un pays libre et démocratique, la police cherche à protéger la société contre la délation institutionnalisée. Et bien non, elle est même encouragée. Les agents des directions du travail et de Pole emploi le sont par décret. Dans les autres administrations (préfectures, CAF, sécu, écoles et même dans les bureaux de poste), chaque petit chef peut améliorer sa note annuelle en balançant des étrangers (voir par exemple le dossier « zélateurs anonymes » des Big Brother Awards l’an dernier). En revanche, revers de la même médaille, les « délinquants de la solidarité » deviennent les complices d’un nouvel «ennemi intérieur», les agents double d’une autre 5ème colonne.

La délation semble devenue une marque de fabrique de l’identité nationale dont il est question en ce moment. Cette image d’une Marianne au nez qui s’allonge est une blague de potache, le vrai-faux logo d’un site internet plus vrai que nature, organe fictif d’un Ministère de la Délation qui l’est de moins en moins, fictif. Lancé en mai 2007 après l’élection de qui vous savez, les potaches ont été débordés par la haine ordinaire. En mai 2009, le site a même failli être définitivement rayé de la carte de l’internet français: le domaine « delation-gouv.fr » était menacé de classification subversive par l’Afnic, l’annuaire des noms de domaine français. Le « point com » est déjà réservé, on ne sait jamais.

La médaille ci-contre, en revanche, n’est pas un montage. C’est la breloque officielle du citoyen volontaire, un service mis en place progressivement au sein de la police nationale, légalisé définitivement avec la loi de prévention de la délinquance (LDP) de mars 2007. Des bénévoles de la délation, acteurs à plein temps du concept de « coproduction de la sécurité » très en vogue dans nos démocraties.

Pas étonnant que ce soit la même LPD qui incite les travailleurs sociaux — ceux dont c’est le métier de porter assistance à des personnes démunies qui, parfois, de trouvent dans l’illégalité — à compromettre leur éthique: elle a inventé le concept de «secret professionnel partagé» (lire notre billet Le social à la mode Vichy).

Une "bouche de pierre" pour dénoncer les abus dans la République de Venise (dossier de la LDH Toulon)

En matière de délation institutionnelle, il y eut, en 2003, la sortie remarquée d’un certain Jacky Maréchal, commissaire divisionnaire de Douai (Nord), qui avançait l’idée de citoyens relais. Première tentative.

Dans quelques préfectures, en Isère, dans le Var et dans l’Essonne plus récemment, on a testé la délation par e-mail, une adresse destinée à recueillir des plaintes à distance, pas forcément identifiées, donc anonymes. La république de Venise avait inventé les « bouches de lion »  (bocca di leone), destinées, en théorie, à dénoncer les corruptions de notables qui menaçaient l’intégrité et la probité des agents de la Cité.

Aujourd’hui, l’acte de dénonciation n’a même plus besoin de se parer d’une doctrine éthique pour être acceptable et acceptée. Les « bons citoyens » sont conviés à être vigilants mais pas contre l’arbitraire, contre leurs propres voisins. Ça a donc donné une nouvelle secte, les «voisins vigilants», concept nord-américain traduit du terme «neighbourhood watch». Dans les villes et villages de France, le logo de l’opération ressemble à la version Loft Story des « villes fleuries » ou des « villes internet ». Le pire, c’est que ça marche.

Le Figaro

Pour asseoir cette domination, il faut donc s’en prendre au volontaire déviant, au bénévole de la solidarité. Hélène, cette militante de RESF, a fait l’objet d’une fouille en règle, harcelée pour qu’elle livre son échantillon d’ADN, bref humiliée dans une affaire de droit commun, la destruction de biens privés, sans doute en «bande organisée». Voici la fin de son témoignage tel qu’il a circulé par e-mail et sur quelques blogs:

«Ils ont voulu voir les photos de mon appareil photos, m’ont demandé si j’avais des photos de manif. Ils ont photographié des notes sur l’occupation des sans-papiers grévistes. Ils ont emmené deux ou trois papiers qu’ils m’ont rendu. Ils ont embarqué mon CV. Ils ont voulu prendre mon ordi mais je leur ai expliqué que je n’avais plus Internet depuis deux ans. Ils l’ont fouillé quand même sans l’emporter. Ils m’ont demandé mon portable et mon chargeur, qu’ils ont emporté. Je ne les ai pas récupéré. Ils m’ont dit que je pourrais le récupérer demain. Dans l’appartement ils m’ont parlé du centre de rétention de Vincennes. Ensuite nous sommes descendus dans ma cave. Ils y ont jeté un rapide coup d’œil. J’ai été emmené ensuite au 36 quai des orfèvre. J’y suis arrivée vers 8h. Là j’ai eu le droit aux photos anthropométriques, prises d’empreintes et ils m’ont fait me déshabiller, m’accroupir et tousser. J’ai des marques reconnaissables sur le corps qu’ils ont prises en photos. Je leur ai expliqué que c’était une maladie génétique. Ils ont fait des commentaires se demandant si ce n’était pas contagieux….

«Ensuite, vers 11 h,  j’ai été interrogée pour ce qu’ils appellent l’interrogatoire d’identité (je suis plus trop sur du terme) par un commandant de police. Ils sont remontés de ma scolarité primaire à mon diplôme professionnel, m’ont interrogé sur mes voyages et ensuite sur mes opinions politiques. Ils m’ont questionné sur mes activités militantes.  Je suis remontée en cellule. J’ai été ensuite changée de cellule car j’étouffais dans celle où j’étais (en gros 4 mètres carrés, pas d’aération pas d’ouverture). J’ai demandé à voir un médecin que j’ai vu une heure après environ. Il m’a été demandé de faire un test ADN. Avant, j’avais dit que j’avais le droit de refuser. Il m’a été répondu que je pouvais être jugé pour ça et que de le faire était le meilleur moyen de prouver mon innocence.  Je l’ai donc fait. Vers 16h30 j’ai été vue à nouveau « pour les besoins de l’enquête ». Mon téléphone portable a été évoqué à nouveau. Il m’a été dit qu’effectivement c’était pour cela que j’étais là. On m’a demandé si j’avais participé à des actes de violences, de destruction de DAB, investi la préfecture ou la CAF, m’ont interrogé sur mes connexions Internet, les sites que je visite, mes moyens d’informations et si je connaissais des gens qui avaient commis des actes de violence ( ai répondu pas à ma connaissance) ou entendu parler d’actes de violence. Ils ont beaucoup insisté pour savoir ce que savais des banques qui dénoncent les sans- papiers, ce que j’en pensais et ce que je pensais des actes violents. La fin de ma garde à vue a été prononcé à 19h35.

«Je suis sortie après 13h20 de garde à vue.»

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